A la croisée du film de gangsters et de la fresque israélo-palestinienne, Ajami, premier film de la doublette Yaron Shani-Scandar Copti éblouit par sa violence sourde, et la justesse de son propos. A découvrir de toute urgence.
Les mains dans le cambouis, un jeune homme change le pneu d’une voiture ; soudain deux hommes sur un scooter cachés derrière leurs casques surgissent du néant et lui tirent dessus. Le quartier, calme jusqu’alors, se réveille et on a l’impression d’être dans une scène de fin du monde. C’est sur cette séquence choc, que s’ouvre Ajami.
Coréalisé par un Israëlien (Yaron Shani) et un Palestinien (Scandar Copti), Ajami est l’archétype d’un genre qu’on n’a pas vraiment eu l’occasion d’apprécier jusqu’à présent, le film de gangsters israélo-palestinien. Ajami, c’est aussi un quartier de la ville de Jaffa, un des symboles de la colonisation israélienne puisque son administration est basée à Tel-Aviv, un quartier où se mélangent palestiniens, juifs et chrétiens, le tout sur fond de tensions religieuses et sociales. De par l’origine des réalisateurs, on aurait pu voir le film comme un symbole de rapprochement entre Israéliens et Palestiniens, mais il faut prendre Ajami pour ce qu’il est : un excellent film à rapprocher des Affranchis de Scorsese, un film où le contexte socio-politique ne fait que servir de prétexte au déroulement de l’histoire et permet d’explorer des tranches de vie.
Solutions locales pour un film choral
L’histoire ou les histoires, justement, parlons-en. C’est celle d’Omar, jeune arabe israélien en danger de mort comme toute sa famille depuis que son oncle a eu la mauvaise idée de tirer sur un membre important d’une tribu bédouine spécialisée dans le racket. C’est aussi celle de Malek, jeune réfugié Palestinien qui travaille illégalement en Israël pour financer l’opération que sa mère doit subir. Dando, lui, est un policier juif traumatisé par la mort de son frère qui ne désire qu’une chose, la venger. Ces destins vont se rapprocher, s’entrecroiser pour au final exploser dans un grand accès de violence.
Porté par des acteurs amateurs extraordinaires de justesse, Ajami fait penser comme on l’a dit plus haut aux Affranchis, mais aussi au Prophète d’Audiard, en passant par la série The Wire(dont on reparlera forcément à un moment ici…) pour son néo-réalisme affiché comme un sacerdoce. Mais, là où le film se démarque de ses prédécesseurs occidentaux, c’est quand il se met à explorer des territoires peu ou mal vus au cinéma jusqu’à présent, telle cette scène à la limite du comique de pseudo tribunal palestino-mafieux, où Omar se voit contraint de négocier le prix de la survie de sa famille. On pourrait continuer à parler d’Ajami pendant des heures et des heures, mais c’est encore Kaganski des Inrocks qui résume le mieux le sentiment que l’on a en sortant de projection : « Vous voulez voir un putain de bon film ? En voilà un. ».
P.S. : Pendant qu’on y est, il est l’heure des réclames, le nouveau numéro du magazine Trois Couleurs a invité les huluberlus de Gorillaz à prendre les commandes du canard. Au menu, interview de Murdoc, leader virtuel d’un groupe qui l’est beaucoup moins et bien d’autres choses à découvrir