« L’inflation augmente! Tout est plus cher! C’est le pétrole! C’est l’euro! Le panier de la ménagère ne veut rien dire! Mon pouvoir d’achat s’effondre! » Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’inflation est probablement l’indicateur économique qui déchaîne le plus les passions, et pour cause: il touche directement au portefeuille.
C’est un phénomène curieux, qui existe possiblement depuis l’invention de la monnaie, à la fois psychologique et éminemment rationnel. Les empereurs romains sont les premiers à expérimenter avec la manipulation de la monnaie, en ajoutant progressivement une quantité de plus en plus importante de métal quelconque dans les pièces d’or. Mais les citoyens n’étaient pas dupes et ça a lamentablement raté à chaque fois…
De nos jours, l’inflation est une donnée que les autorités politiques et économiques tiennent absolument à maîtriser, puisqu’on peut tout d’abord la comparer à une taxe, sur les plus pauvres et sur les épargnants, car elle diminue le pouvoir d’achat et diminue la valeur de l’argent disponible. Ensuite, une inflation forte sur le long terme entraîne une perte de confiance dans la monnaie, faisant croître l’économie parallèle et, poussée à certains extrêmes, brisant le tissu social. On l’a vu dans l’Allemagne des années 30 et dans le Zimbabwe d’aujourd’hui, l’hyperinflation entraîne la ruine du plus grand nombre, préservant les quelques privilégiés qui disposent de leurs avoirs en monnaie étrangère.
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Par définition, l’inflation est tout simplement le taux d’accroissement des prix de ce que nous consommons. Là se posent déjà deux problèmes: de quels prix parle-t-on, et de quelle consommation s’agit-il au juste? En France, c’est l’Insee qui se charge de mesurer l’Indice des Prix à la Consommation (IPC), à partir duquel on détermine l’inflation. Il est calculé en relevant les prix affichés dans les magasins d’un certain nombre de villes en France, ainsi que les prix des fournisseurs de services (électricité, gaz, téléphone) et des vendeurs par correspondance, et ce à qualité constante. L’Insee se targue d’une couverture de 95% de la consommation en France, mais exclut le prix d’achat d’un logement (qui est plutôt considéré comme un actif au même titre qu’une action, que comme un produit de consommation). Eco89 propose un petit question-réponse intéressant pour plus de détails, et bien sûr, l’Insee met à disposition une bonne quantité d’informations sur son site.
Un certain nombre de critiques ont été adressées à l’IPC, en premier lieu du point de vue de la méthodologie. Passons sur le fait que mathématiquement, il semblerait que la formule produise un biais. Le problème principal à mon sens et que c’est une moyenne qui ne reflète pas forcément nos besoins et consommations particuliers (comme le souligne Le Figaro, 40% des Français payent un loyer, qui représente environ 20% des revenus de ceux-ci, tandis que les dépenses logement ont un poids de 6% dans l’IPC). Depuis 2007, l’Insee nous permet de calculer notre propre indice des prix, pour tenir compte de sa consommation propre de pizzas, de clopes ou d’engrais chimique. Cependant, le système reste opaque, car pour éviter les possibles manipulations, l’Insee ne publie que le strict nécessaire, ce qui forcément ne favorise pas la confiance. Ailleurs dans le monde, les soupçons planent souvent sur les résultats officiels, et nombre d’initiatives privées fournissent leur propre mesure, locale (comme par exemple en Argentine où plus personne ne regarde le chiffre du gouvernement) ou globale (comme le Billion Prices Project qui suit tous les jours les prix des vendeurs en ligne).
Autre source de conflit, l’indice officiel est calculé «à qualité constante», c’est- à-dire que l’office statistique se débrouille (via ce qu’on appelle une régression hédoniste) pour rendre comparable ce qui ne l’est plus du fait par exemple du progrès technique. Ceci est surtout sensible dans le secteur de la technologie (à caractéristiques techniques et performance constantes, le prix des ordinateurs a baissé au cours du temps), mais est applicable aussi aux voitures par exemple.
On voit donc pourquoi l’Insee dit que le pouvoir d’achat n’a pas baissé alors que les médias répètent à l’envie qu’on devient plus pauvre de jour en jour : un cadre supérieur peut partir en weekend plus souvent et pour moins cher (avec Easyjet) et s’équiper en électronique performante pour le même prix qu’avant (car un ordinateur deux fois plus puissant coûte le même prix qu’avant). Pendant ce temps, la personne dont les revenus sont plus modérés, voit juste le prix de sa nourriture et de ses frais de transports augmenter, rognant ses dépenses discrétionnaires. Elle voit aussi que ça lui fait une belle jambe que les PC soient plus puissants au même prix : elle n’a pas les moyens de s’en acheter un de toute façon…
A Monetary History of the United States, 1867-1960
Qu’est-ce qui cause l’inflation? Que fait l’État là-dedans? Et l’OPEP? L’explication classique de Milton Friedman, économiste libéral de l’Université de Chicago, et un des parrains de l’économie monétaire, est que l’inflation est causée par un trop-plein d’argent, faisant face à une quantité insuffisante de biens (c’est peut-être plus clair en version originale : “too much money chasing too few goods.”) La raison pour laquelle il pourrait y avoir trop d’argent dans le système est que les billets que nous avons dans notre portefeuille ne sont adossés à rien, contrairement aux billets de nos glorieux ainés, qui pouvaient être échangés contre de l’or (puis des dollars avec Bretton Woods). Depuis 1971, la seule chose qui fait que ces bouts de papier ont de la valeur, c’est la certitude que quelqu’un les acceptera demain.
Par ailleurs, l’offre et la demande n’ont donc pas d’influence à long terme, car il y aura toujours un retour au prix d’équilibre. La quantité d’argent dans le système est donc l’unique déterminant de l’inflation pour les économistes, et cette masse monétaire est contrôlée par la banque centrale. D’où l’insistance pour l’indépendance de celle-ci, car généralement les politiques font un mauvais usage de cette manette (c’est donc bien Mugabe qui est derrière l’inflation au Zimbabwe). Cependant les économistes ne sont pas aveugles et voient bien qu’au jour le jour, le prix du pétrole a un impact direct sur le portefeuille via le prix de l’essence, mais ils ne considèrent ceci que comme un choc temporaire, n’affectant pas l’inflation «de fond», c’est-à-dire sa tendance à long terme. En particulier la Réserve Fédérale américaine base sa politique sur la «core inflation», en excluant le prix de l’énergie et de la nourriture, dont les déterminants principaux sont l’offre et la demande de court terme.
Tous unis contre la vie chère
Ainsi les pouvoirs publics prennent la responsabilité de contenir l’inflation. En général, celle-ci est dévolue à la banque centrale, comme on le disait plus haut, qui de nos jours agit sur la masse monétaire via le contrôle des taux d’intérêt à court terme. Cependant, les économistes ne voient donc pas les chocs inflationnistes dus au pétrole par exemple comme des déterminants réels de l’inflation, et se refusent à agir sur cette base. Or, comme l’a dit si habilement Keynes, qui est l’autre parrain de l’économie monétaire, «in the long run we’re all dead». Le gouvernement prend donc souvent à sa charge toutes sortes de palliatifs et de politiques de sensibilisation. Pour exemple, la Malaisie avait lancé dans les années 90 une large campagne de publicité appelée Inflasi 0% (0% d’inflation) pour responsabiliser les gens vis-à-vis de leur consommation. Si je ne me trompe pas, ça n’a pas très bien marché, ce qui a conduit l’État à intervenir plus directement en exerçant des contrôles sur les prix, dont ceux de l’essence. Plus près de nous dans l’espace, les États occidentaux ont beaucoup fait joujou avec l’Inflation avant la crise pétrolière. L’intervention de l’État et le rôle de la banque centrale sont donc le sujet de deux prochains articles sur l’inflation.