Avec son affiche mettant en avant un cul rebondi et son titre français d’une vulgarité absolue, Bon à Tirer (Hall Pass) est distribué chez nous comme une comédie bien grasse pour gros beaufs. On savait pourtant que les comédies des frères Farrelly, souvent des bijoux de tendresse et de drôlerie, valaient tellement mieux qu’un humour à la Bigard. Hélas, pour la première fois, ce n’est même pas le cas.
Plus dure sera la chute
On les avait tant aimés, les frères Farrelly.En 1994, sortait Dumb & Dumber, monument d’humour régressif qui avait décomplexé toute une nouvelle vague de comédies américaines, dont la plupart ont bêtement cherché à repousser les limites du trash jusqu’à saturation. Depuis ce coup d’éclat (qui fut aussi la mémorable révélation de Jim Carrey), les frères Farrelly avaient justement eu l’intelligence de suivre le chemin inverse, et n’avaient jamais cessé d’affiner leur style, conscients que l’attachement aux personnages restait primordial. C’est ainsi qu’ils sont passés de la dinguerie irrésistible de Kingpin et Mary à tout prix à la tendresse de L’amour extra-large et surtout du sublime Deux en un, qui reste à ce jour leur chef-d’œuvre. Mais plus leurs comédies gagnaient en subtilité, plus elles avaient du mal à retrouver les sommets du box-office. D’autant plus que la nouvelle génération Apatow est passée par là, revitalisant le genre avec une nouvelle fraîcheur et des personnages toujours plus ancrés dans la réalité. Essayant de renouer avec leurs débuts, Les Femmes de ses rêves montrait déjà des signes de faiblesse, mais s’en sortait de justesse grâce à un Ben Stiller toujours aussi prodigieux dans le registre du mâle subissant un calvaire masochiste.Dans Hall Pass, on tombe en plein dans la catastrophe et la consternation totale. Comment expliquer une telle chute ?
Quand la Tentation ne devient plus Tentation
Le postulat de départ semblait pourtant savoureux : deux quadras mariés et frustrés -Owen Wilson, mal exploité, mais toujours aussi attachant par sa candeur, et Jason Sudeikis, carrément insignifiant- ne cessent de reluquer tout ce qui passe, ce qui finira de plus en plus par agacer leurs femmes (pourtant jouées par les très séduisantes Jenna Fischer et Christina Applegate). Celles-ci leur proposent donc un deal : un « hall pass » qui leur permet une semaine de liberté totale sans mariage , où l’adultère est permis.
On imagine donc les perspectives ouvertes à toutes les situations comiques, un éloge à l’hédonisme et au free sex , et pourquoi pas instaurer un certain suspense sur la solidité du mariage. Mais en y regardant de plus près, il s’agit avant tout de la fausse bonne idée de départ, et les Farrelly tombent en plein dans tous les pièges derrière le supposé potentiel de cette idée. Primo, parce que les deux mâles du film ne peuvent être réduits qu’à leurs désirs libidineux, qu’ils ne se résument qu’à leur pauvre frustration sexuelle et qu’ils ne valent finalement pas mieux que les beaufs d’un film de Max Pécas . Il faut voir à quel point les Farrelly ont du mal à filmer des personnages parlant de cul, se sentant obligés d’en rajouter des couches alors qu’un Apatow parvient à capter ce genre de conversations avec un naturel prodigieux.
Secundo, parce qu’il n’y a aucun véritable enjeu scénaristique, étant donné que tout est autorisé, et que l’excitation liée à l’adultère disparaît complètement, excluant d’avance toute possibilité de subtilité et de complexité dans l’étude des relations extra-conjugales – le « hall pass » n’est même plus un secret qu’on garde, mais un argument pour coucher en toute impunité. Tertio, enfin, parce qu’après avoir fricoté ailleurs (ou pas), les deux beaufs reviendront forcément vers leurs femmes et l’honneur du sacro-saint mariage sera sauf, faisant donc très maladroitement l’éloge du conformisme et de la normalité, dans l’une des fins les plus aberrantes vues depuis longtemps. Finalement, le « hall pass » ne serait juste qu’une reprise complètement hypocrite du concept de « L’île de la tentation » en le délestant de toute idée de tentation, et donc de subversion. Du coup, personne ne finit par coucher.
Comment vieillir ?
Reste malgré tout une bonne idée qu’on aurait pu sauver au milieu de tout ce naufrage : celle qui consiste à explorer la sexualité des quadras vieillissants, qui ont vraisemblablement bien du mal à passer le pas. Mais là encore, rien n’est exploité, le film ne semble pas assumer jusqu’au bout d’être une odyssée sexuelle – ce qui nous vaut des scènes d’une incohérence totale, et parfois même embarrassantes par leur lourdeur. Comme si les Farrelly, après avoir si bien grandi, ne savaient plus du tout comment bien vieillir.
Leurs délires scatologiques, qui faisaient autrefois mouche par leur sens du tempo et leur capacité à influer sur la suite des évènements (le traumatisme de la braguette dans Mary à tout prix notamment), tombent ici complètement à plat parce qu’ils ne sont que purement gratuits, n’existant que pour apporter le quota de blagues prout prout. Le pire est atteint avec un personnage de psychotique encore plus frustré que les deux beaufs, dont la jalousie maladive donne au film un virage détestable et d’autant plus étonnant que les Farrelly se distinguaient par leur tendresse habituelle envers tous leurs personnages secondaires. Mais tout n’est peut-être pas perdu. Espérons que leur vieux projet de ressusciter Les Trois Stooges avec un parti-pris audacieux : retrouver l’efficacité du slapstick à l’ancienne avec des gags non-stop, finira enfin par concrétiser et permettre leur rédemption.