En parcourant le programme des audiences matinales de la 17e chambre correctionnelle, j’ai la vive impression de feuilleter le Télé Z. « Jean-Luc Delarue vs Jean-Marc Morandini 9h30 ; Audrey Pulvar vs Closer (magazine) 10h ; Vanessa Paradis vs Voici (Magazine) 10h30 », etc. J’hésite un instant avant de pousser la grande porte en bois.
En entrant, la décontraction générale me frappe. Aucun gendarme en vue. Je remarque un garçon très décoiffé, en sweatshirt blanc et tennis aux pieds, assis sur le banc des avocats. Il fait certainement son stage de troisième, le chanceux. Les affaires se suivent et se ressemblent. Les avocats défilent orphelins de leurs clients s’étant sûrement fait porter pâle et après tout personne ne s’en plaint si ce n’est peut-être les juges qui lisent les journaux à scandales que l’on veut bien leurs apporter.
Dossier n° 3. « Madame Paradis Vanessa contre Voici », annonce fièrement le Président. Les deux avocats avancent vers l’estrade pour apporter, chacun, le même exemplaire de Voici, à la source du litige. « Vanessa Paradis, Johnny Deep : et leur couple dans tout ça ? », titre le magazine, agrémenté de clichés grossis du couple et de leurs enfants. « Le couple a ressenti cela comme une violation de leur vie privée et de leur droit à l’image. C’est pourquoi Vanessa Paradis réclame la somme de 50 000 euros de dommages et intérêts, ainsi qu’une mesure de publication judiciaire en couverture du magazine », déclame l’avocate de la chanteuse, les mains dans le dos et les yeux fermés.
Le Président, littéralement absorbé par la lecture de Voici, tourne une page et bredouille : « Oui oui voilà, donc euh…hum… et dire qu’on abat des forêts pour imprimer ça ! », suivi d’un rire sournois « hou ! hou ! hou ! ». Place aux plaidoiries.
L’avocate de la plaignante se lance, méthodique mais maladroite : « En 12 ans, vous ne verrez jamais ma cliente s’exprimer sur son couple, et encore moins sur des prétendues turbulences, et évidemment, il y en a eu. En 12 ans, vous ne verrez jamais Vanessa Paradis avec ses enfants. C’est très intrusif ! » – « Mais Johnny Diiiiip fait coucou ! », interrompt l’avocat de Voici. « Ah ? c’est un “coucou” ça ? », s’interroge le Président ; et à l’autre juge qui tourne les pages rapidement : « Là, page 20… » – « Ah ça mais… ! Pas du tout ! il leur demande de partir ! », se défend l’avocate écarlate.
Sur son banc, le petit stagiaire fait peu de cas de ces menus ennuis de stars, plutôt à se ronger le pouce férocement.
En écoutant la partie adverse, je me dis que les plaidoiries des avocats de Voici sont rodées. Par dessus le marché, je me demande à quel point les mesures de publications judiciaires boostent les ventes ? Toujours est-il que le beau, gracile et séduisant, commence par énumérer les nombreuses interviews accordées par Vanessa Paradis au sujet de son couple : « ELLE, VSD, GALA, Glamour, Paris Match, “Mon bonheur, je veux le crier sur tous les toits” y compris à la 17e chambre pour 50 000 euros ! » Fier de cette dernière flèches envoyée en direction de l’avocate, il conclut théâtralement : « C’est grotesque ! L’attitude médiatique de votre cliente contredit le discours judiciaire qu’elle vous tient »
Certainement pressé d’en finir, le Président donne la date du rendu de justice en se levant, alors que les deux avocats se serrent la pince. De son promontoire, il se tapote le ventre et pour congédier la salle, dit : « Bon appétit et mangez bio ! »