Une sélection inégale, des pluies diluviennes, et surtout un palmarès contesté et contestable, Cannes 2012 aura tout de même été ponctué de superbes coups d’éclats. Et d’un miracle nommé Leos Carax.
Une quarantaine de films vus en dix jours. Tel est le rythme improbable d’un festivalier acharné et boulimique. Sur les vingt-deux films de la compétition, j’en ai raté trois, mais à la vue du dénouement, je l’affirme clairement : Nanni Moretti et son jury 2012 ont livré un palmarès consternant de bout en bout. Non seulement il y avait quelque chose de déprimant dans le fait de couronner des réalisateurs plus ou moins surestimés qui ont déjà été récompensés (Haneke, Mingiu, Garrone, Reygadas, Loach), mais l’absence totale des films les plus audacieux et enthousiasmants de la sélection (Carax, Cronenberg, Resnais, Hong Sang Soo, Jeff Nichols, Kiarostami) sonnait comme une provocation à la fois inquiétante et inconsciente.
Un festival en gueule de bois
Commençons par Amour, la seconde Palme d’Or attribuée à Haneke trois ans seulement après celle pour Le Ruban Blanc. Bien qu’il soit le seul film du palmarès dont la distinction reste légitime, sa réussite tient essentiellement à l’interprétation admirable de ces deux acteurs principaux, Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva. L’intensité de leur présence humaine parvient à décoincer la psychorigidité de l’autrichien moraliste qui se fait ici un peu plus amouraliste (oui j’invente un mot). L’amour qui unit ce couple d’octogénaires est mis à rude épreuve dans ce film minimaliste qui ne sort quasiment jamais de son vieil appartement. Reste un sentiment un peu gênant, Michael Haneke doit forcément passer par une sécheresse absolue pour mieux briller dans sa maîtrise habituelle de l’anti-pathos. Dans un sens, c’est salutaire mais cela ressemble à un gimmick d’auteur paradoxalement complaisant. Amour brille par ses dialogues d’une lucidité remarquable mais ne devient émouvant que quand il se permet de dévier de son programme calculé, par exemple quand un pigeon fait irruption dans le vestibule et que Trintignant essaie de le capturer. Une Palme pas honteuse mais convenue et sans panache.
Voir revivre Leos Carax
Mon regret est d’autant plus grand qu’on est passé complètement à côté d’une Palme historique et franchement jouissive pour l’exceptionnel Holy Motors, qui signe le retour fracassant et spectaculaire de Leos Carax. Lui qui fut l’enfant terrible du cinéma des années 80, le poète maudit devenu paria pendant 20 ans après le tournage ruineux des Amants du Pont-Neuf, tient enfin sa revanche et nous rappelle à quel point il nous avait manqué. Époustouflant film-somme, Holy Motors est une de ces comètes qui n’arrivent qu’une fois tous les dix ans et qui mettent le spectateur dans un état de sidération totale. C’est difficile de mettre toutes les émotions dans un seul film annonçait la pub UGC. Mais Leos Carax y réussit magistralement grâce à une inventivité totale et une audace jubilatoire, portée par la performance complètement folle du caméléon Denis Lavant. En dévoiler plus serait gâcher le plaisir de la découverte (il faut mieux le découvrir en étant le plus vierge possible et éviter la bande-annonce), mais vous pouvez déjà noter la sortie du film : le 4 juillet.
Le cinéma américain en petite forme, sauf dans le Sud
La sélection américaine fut très présente mais n’a pas tenu toutes ses promesses : Moonrise Kingdom et Killing Them Softly furent de petites déceptions malgré leur qualité tandis que The Paperboy et Lawless n’avaient absolument pas leur place en compétition. Seul Mud a finalement convaincu les festivaliers : ce conte élégiaque tourné sur le Mississippi raconte la rencontre de deux adolescents avec un mystérieux fugitif refugié sur une île. Sous l’influence revendiquée de Mark Twain, le film de Jeff Nichols retrouve la splendeur des plus beaux mélodrames pour sa manière élégante de filmer l’amour comme un apprentissage, un sentiment que chacun rêve de mieux comprendre.
Dans la sélection Un Certain Regard, Les Bêtes du Sud Sauvage de Benh Zeitlin (Caméra d’Or évidente et archi-méritée) était sans doute la grosse sensation inattendue du festival. Dans la jungle dévastée des bayous de Louisiane, une petite fillette, Hushpuppy, se voit confrontée à la cruauté de la vie (un père alcoolo et mourant) et la force des éléments de la nature va stimuler son imaginaire pour lui permettre de surmonter les épreuves qui s’offrent à elle, telle une héroïne d’un film de Miyazaki. Cet univers onirique (et son impressionnante armée d’aurochs, des créatures imaginaires) fait toute la beauté d’un film surprenant et audacieux qui ne recule jamais devant le sens du merveilleux alors qu’un autre réalisateur se serait contenté d’un style documentaire.
La bonne santé de la comédie française
Gloire aux auteurs de comédies qui ont réussi à mettre un peu de bonne humeur dans un festival un peu trop plombé par quelques croûtes auteurisantes et complaisantes (à l’instar de l’affreux Despues de Lucia, enquillant sans broncher les humiliations subies par une jeune ado – là encore, le jury Un Certain regard s’est complètement fourvoyé en lui décernant son Grand Prix). Le tandem Kervern/Delepine, du Groland, nous a offert Le Grand Soir, une comédie punk assez réjouissante malgré un rythme inégal. Les frères Podalydès ont confirmé toute leur verve sentimentalo-burlesque avec Adieu Berthe : l’enterrement de mémé et pour finir, Noémie Lvovsky a livré avec Camille redouble une variation assez réussie et souvent drôle de Peggy Sue s’est mariée de Coppola, où une quadra retrouve par magie l’occasion de revivre sa propre adolescence.
On finit sur l’élégante réplique de Valérie Lemercier dans Adieu Berthe (pour changer du Vive le cinéma ! de Tarantino)