En 1981, Spielberg sort le premier Indiana Jones et la ressemblance avec le Tintin d’Hergé saute déjà aux yeux. Etait-il le cinéaste idéal pour adapter les aventures du reporter à la houpette ? Il a fallu trente années pour que cette aventure devienne possible.
C’est donc la fin d’une Arlésienne qui suscitait déjà toutes les appréhensions. Comment la ligne claire d’Hergé allait trouver son équivalent dans une adaptation cinématographique ? Si Spielberg a tant tardé à adapter Tintin, c’est parce que les possibilités techniques de la motion-capture lui permettaient enfin de réaliser le film dont il a toujours rêvé, s’affranchissant de toutes les contraintes des caméras encombrantes.
L’aventure, toujours
Ce que Spielberg voit avant tout chez Tintin, c’est un éloge du mouvement, de la vitesse, de l’étourdissement. Le pur fantasme d’un film d’aventures rocambolesque qui refuserait l’immobilisme avec un héros bondissant aux quatre coins du monde. Dès la première scène en forme d’hommage malicieux à Hergé, le ton est donné, Spielberg réunit dans le même plan le Tintin d’Hergé tel qu’on l’a toujours connu et le nouveau Tintin 3D qui va se déployer dans un univers numérique d’une folle abstraction, faisant éclater toutes les bulles et toutes les cases.
Multiples jeux de reflets, enchaînement de transitions inventifs, la mise en scène de ce Tintin est remarquable. L’absence délibérée de toute limite et de tout découpage trouvera son apothéose dans une course-poursuite d’anthologie filmée en plan-séquence. Jamais Spielberg n’était allé aussi loin pour redéfinir la surface d’une image, dans un souci de fluidité absolue. Cette sensation d’ivresse dans un spectacle aussi tourbillonnant, jamais indigeste parce que toujours lisible, fait toute la beauté surréaliste du film. Il est d’ailleurs recommandé de (re)découvrir le film au format IMAX 3D pour l’apprécier dans des conditions idéales.
Un héros spielbergien
Les pixels et les images de synthèse ont donc remplacé les traits simples et les aplats de couleur. La fidélité envers la création d’Hergé n’est pas à chercher dans son style graphique (au risque de décevoir les puristes les plus endurcis) mais dans l’esprit de « serial » et surtout dans la candeur du personnage de Tintin. Son caractère lisse et totalement asexué n’a jamais fait de lui un personnage psychologiquement fouillé, c’est un héros spielbergien dans le sens où il permet la croyance aveugle aux aventures les plus invraisemblables, toujours prêt à défoncer des murs pour faire avancer le récit avec un vrai plaisir d’enfant qu’on n’osait plus retrouver. On ne peut que se rendre compte qu’Hergé et Spielberg se ressemblent étrangement, comme s’ils étaient faits pour se rencontrer (ce qui a bien failli arriver en 1983 mais le destin en a décidé autrement).
Ce Tintin ne serait pas aussi réussi sans la qualité de l’adaptation qui combine finement plusieurs albums d’Hergé (avec des modifications toujours astucieuses) pour un scénario bien rythmé et sans temps morts. Les trois prestigieux co-scénaristes anglais ont ainsi pris un malin plaisir à se servir de l’alcoolisme notoire du personnage d’Haddock (génial Andy Serkis) pour en faire un moteur narratif sur un vieux secret oublié qu’il va falloir reconstituer. C’est là que réside tout le secret de l’art spielbergien dans sa capacité inouïe à ressusciter, grâce au simple pouvoir des images (qui n’ont pourtant plus rien de réel), des sensations d’enfance qu’on croyait désormais enfouies. Si le film de Spielberg est si secrètement bouleversant derrière sa légèreté, c’est que le spectateur s’est projeté à la fois chez Tintin, Haddock, et même Milou. Tonnerre de Brest !