Le rêve américain du pavillon et de sa clôture blanche est-il en train de disparaître ? La récession post 2008 ne semble pas toucher les très riches alors que le reste du pays est au point mort, quand il ne recule pas. Zoom sur la nouvelle échelle sociale américaine.
Aux Etats-Unis, la reprise de la consommation contribue à détendre Wall Street. Mais les bons chiffres sont avant-tout portés par la classe huppée, et non pas par la majorité de la population. Selon l’institut de recherche Gallup, seules les dépenses des Américains gagnant plus de 90 000 $ par an ont augmenté de 16%. Celles de tous les autres n’ont ni augmenté ni diminué. L’âge d’or de la middle class est révolu.
Le cercle infernal
En 2008, on a vu les Brothers de chez Lehmann se moucher dans leurs cravates. Pourtant ce ne sont pas les salariés du secteur financier qui ont le plus trinqué : entre 2007 et 2010, 8% des emplois dans la finance ont été supprimés, contre 17% dans l’industrie et 27% dans le BTP. Mais la crise n’a pas fait que des perdants. Les entreprises ont profité de la récession pour délocaliser et pour restructurer, mettant à la porte de nombreux salaires moyens. Elles ont réduit leurs coûts de production, augmenté leur profit, et revu à la hausse les salaires de leurs cadres dirigeants. C’est la cause d’une première fracture sociale, le salarié moyen perd son emploi pendant que le col blanc qualifié passe de riche à très riche.
Lorsque la bulle immobilière éclate, l’Américain moyen au chômage assiste impuissant à la dévaluation de son logement. Là encore, les riches s’en sortent mieux. Ils détiennent des portefeuilles d’action qui compensent leurs pertes de patrimoine. Les inégalités sociales se creusent plus encore : 23% des ressources de la classe moyenne se sont évaporées alors que les riches limitent les dégâts avec 12% de perte.
Suppression des emplois peu qualifiés, hausse des rémunérations au sommet et baisse des salaires des moins instruits, la société américaine se retrouve aujourd’hui complètement remodelée. Le phénomène ne date pas de 2008, la crise l’a simplement accéléré et amplifié. Entre 1999 et 2008, les multinationales américaines avaient déjà supprimé 1,9 millions d’emplois sur le territoire mais en avaient créé 2,4 millions à l’étranger. Et ce n’est pas terminé, selon Alan Blinder, ancien vice-président de la FED, grâce aux performances des technologies de l’information, 22% des postes américains sont délocalisables.
Quid du pouls de l’Amérique ?
L’incarnation du rêve américain, le self made man est lui aussi en train de disparaître. On ne croit plus à l’histoire du coursier qui, devient directeur financier à la force des poignets. En effet, la rentabilité d’un master a atteint des records historiques. Le taux de chômage des superdiplomés (au moins 5 années d’études universitaires) frôle à peine 2% alors qu’il est de 12% pour les détenteurs de l’équivalent du Bac. C’est dire si la donne a changé : 58 % des Américains n’ont pas continué les études après le lycée. Ces non-cadres ont toujours été le pouls de l’Amérique. Le marché du travail a en effet progressivement glissé de l’industrie vers le service qui requiert des compétences plus analytiques que manuelles.
Quand l’Américaine a pu sortir de sa cuisine, elle s’est naturellement tournée vers ces secteurs porteurs, comme la santé et l’éducation. Aujourd’hui, à mesure que les emplois semi-qualifiés disparaissent, cette large classe d’hommes ouvriers est tirée vers le bas, emportant dans leur sillage leurs compagnes mieux payées. L’avenir est lui aussi du côté du sommet de l’échelle sociale car plus de la moitié des diplômés d’études universitaires sont des enfants de parents riches. En clair, les riches mettent au monde des futurs très riches.
Pour sortir de ce cycle infernal, Ron haskins et Isabel Sawhill, les auteurs de Creating an Opportunity Society (Créer une société du possible) attendent que le gouvernement crée des voies d’accès à l’éducation des classes moyennes qui ne passent pas par l’université, inabordable pour les non boursiers. Selon eux, il faudrait mettre fin au système méritocratique : une main d’œuvre mieux formée, c’est une croissance plus rapide et plus efficace, des produits et des services de meilleure qualité, et des salaires plus élevés.
La croissance globale américaine n’a plus besoin de sa middle class, ce que les très riches génèrent et consomment suffit largement. Après avoir été les moteurs de la société américaine depuis plus de 50 ans, les middle class heroes semblent abandonnés. Est-ce qu’une opération de sauvetage commando suffira ?