21 mars… Miracle ! Le printemps est de retour ! Avec lui, les jours qui rallongent, la douce chaleur, les fleurs qui refleurissent, et les arbres qui verdissent ! ô joie ! Mais savons-nous vraiment profiter de la belle saison ?
Méchant Poète
Remonte en moi un souvenir de poésie, quelques lignes apprises par coeur, petite, à l’école.
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil,
A point perdu cette vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au votre pareil.
Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place,
Las, las ses beautés laissé choir !
O vraiment marâtre Nature,
Puisqu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vôtre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté.
« Odes », I, 17, Ronsard, XVIème
Joli et cruel poème qui, du spectacle de la nature, se saisit pour nous rappeler que le temps file emportant la jeunesse, que demain, il sera trop tard, qu’il faut jouir du moment avant qu’il ne se défile, avant qu’il nous laisse vieux, épuisés, dépourvus de beauté. Urgence à admirer la rose, nous crie Ronsard.
Que répond, au moment de l’arrivée du printemps, l’internaute du 21ème siècle ?
Imaginons : « Ah, Monsieur, il est bien gentil votre texte, mais les temps ont changé et indéniablement, justement, notre rapport au temps. Pas le temps de nous appesantir sur la fin qui nous guette. Nous sommes pressés et oppressés, tant de choses à faire, le travail, les enfants, les amis, le sport, les mails, facebook, twitter, et les blogs, et les news, et les séries télé, et la lessive, et les courses, et le ménage… Des « To do » listes jusqu’au vertige. Nous ne pouvons plus nous permettre le luxe de la contemplation. » Ainsi, l’internaute constate : le temps nous bouffe, le temps nous échappe, le temps nous manque… Comme c’est banal de mettre ces mots les uns à la suite des autres !
Geindre encore, dire que c’est pas de notre faute, que c’est la vie moderne, la société, l’air du temps ?
Trop facile. Apprendre à résister au courant. Comment ne pas voir devant cette course effrénée notre refus collectif de se confronter à ce qu’évoque le poète : la mort. La brutalité de ces 4 lettres. Dans un monde qui a évacué toute réflexion sur la profondeur de l’existence, nous avons décidé de nier ce temps qui nous broie en le remplissant encore et encore, sans permettre à une minute de rester oisive.
Fous que nous sommes !
Il y a quelque chose de notre humanité qui se joue dans cette course irréversible et morbide. Ce n’est pas multipliant les activités, en accélérant la cadence qu’on pourra vivre pleinement. Au contraire, à courir sans cesse, on vit à la surface, en automatique, comme des robots, les capteurs sensitifs engourdis, pensant déjà à la suite, angoissés d’être retardé sur ce que nous avions soigneusement programmé.
Et donc ?
Pour résumer, notre époque s’est enfermée dans un double mouvement de fuite : d’un côté, on nie notre fin, et de l’autre, on passe à côté de la vraie vie, celle colorée, pimentée, qui se loge dans l’ici et maintenant. Bref, on a tout gagné. Sortir les mouchoirs ? Inutile. La solution est si simple. Stop. Arrêt. Pause.
Prendre quelques minutes, respirer, regarder attentivement la rose.
Non parce que demain elle sera fanée, demain est si loin, on se fout de demain, Ronsard n’a rien compris, mais parce qu’aujourd’hui, elle est là, intense, rouge, triomphante. Dans l’instant, elle offre sa grâce, sa majesté, son éternité. Il n’y a qu’à recueillir ce présent, goûter le printemps, s’en nourrir, oui, juste un instant, ressentir la puissance joyeuse des élans de la vie.