Dans le cadre de l’opération « Bon appétit ! » et du Festival d’Ile de France 2010, la Cité des sciences et de l’industrie réunissait mardi dernier trois des plus grands spécialistes français du goût autour d’une histoire à construire.
Le goût est l’un des sens les plus complexes dont l’homme jouit, et pourtant, c’est aussi le plus mal étudié et le plus mal connu. La raison ? La perte du goût ne serait pas un handicap social suffisant pour que les chercheurs se pressent à se pencher dessus. Le marché n’est pas porteur. Mais à l’heure où on commercialise le goût de l’authentique et du bio, tout comme on fantasme son uniformisation, le goût est à la mode, il y aurait même si ce n’est une culture du moins un culte du goût.
Le goût des uns
Sens assez rudimentaire, le goût est un complexe de différentes sensations qui a une signification culturelle plus large. Pour Jean-Pierre Poulain, avoir bon ou mauvais goût c’est faire partie ou s’exclure d’un groupe ; se distinguer socialement ou s’exclure. Mais le goût c’est aussi le « goût de » et le « goût pour », ce que l’on connait et ce que l’on aime, choisit ou rejette. De cette appréciation résultent des communautés de goût comme autant de communautés culturelles et sociales. Le genre, l’âge, la position dans la hiérarchie sociale, le degré d’urbanisation ou l’ethnicité déterminent le goût et ses communautés. La différenciation sociale du goût serait encore vecteur d’obésité. L’élite possède même le monopole du « bon goût ». Elle le norme et le hiérarchise ; construit l’excellence.
Le goût des autres
Si le goût se compose de tout cela, il n’en est pas moins que la conférence laissait sur sa faim. Quelques couleuvres au goût amer étaient même à avaler. Gilles Fumey – fondateur des pourtant très intéressants « Cafés géo » – s’est lancé dans une présentation des plus caricaturales des différentes communautés de goûts – de culture donc – dans le monde, laissant échapper même le constat navrant des ces jeunes d’ailleurs à qui l’on a pourtant essayé d’inculquer ce qui était bon. Finalement, faire la géographie du goût serait peut-être faire toujours celle du sien. On regrette aussi d’entendre que l’Amérique du Nord ne soit pas une société agricole et que l’Afrique n’ait culinairement rien apporté au monde. Mais passons… Si la carte du goût et des saveurs est si difficile à élaborer sans tomber dans des caricatures vulgaires, c’est sans doute en partie que nous considérons que le goût est aussi conditionné qu’un produit industriel. Que dire de la liberté du gourmand, de la façon dont il met le goût à sa sauce en se l’appropriant et en l’accommandant ?
D’un goût à l’autre
Ce qui est sûr c’est que le goût n’est pas figé mais évolue. Après le genre, l’âge en serait un déterminant majeur. Pascale Hebel souligne alors que pour les Français, la qualité d’un aliment dépend de son goût, et que nous préférons le salé au sucré recouvrant le premier d’un tabou qui le préserve du discours diététique. Plus encore, l’amélioration de la conservation, la diversification des ustensiles de cuisine et de l’offre ainsi que la baisse du coût de l’alimentation rythment l’évolution des préférences alimentaires des Français. Le choix de l’aliment serait générationnel tout comme la part de revenu consacré à l’alimentation avec une claire baisse de cette part, ce qui implique une modification du régime alimentaire, donc du goût. Aussi, avec le dépérissement du corps augmenterait la consommation de fruits frais… Mais le fait que les « jeunes » consomment moins de vin que leurs aînés signifie-t-il qu’ils en ont moins le goût ? Il y a au contraire fort à parier que lorsqu’ils en consomment, celui-ci est bien meilleur que la piquette d’antan…