Sous l’étiquette musique du monde se cache une frontière. Une limite derrière laquelle se déploient les musiques dont leurs seul point commun est d’être, à priori, exclu de cette pratique contemporaine qui rend si fière l’occident. Pourtant, passé la lisière de notre culture, des artistes tout aussi intéressant sont à l’œuvre.
Rencontre
Quelques instants avant minuit, dans un restaurant kurde de la rue Mandar, entre un homme. Derrière lui, des jeunes kurdes gominés en costume du dimanche se pressent. Après quelques verres d’un thé aussi fumant que traditionnel, l’homme sort un lute. Il commence un chant qui ne sera entrecoupé que par quelques histoires, pour finir tard dans la nuit.
Sa voix profonde remplit la salle. Les nuances et les dissonances de son instrument accompagnent son récit dans des méandres hypnotiques. Le patron, devinant la curiosité qui me ronge, me glisse l’identité du chanteur : Şivan Perwer. Ce soir là, j’ai fait la connaissance d’un des plus grand chanteur kurde vivant. Par hasard.
Un berger devenu icône
Ce personnage, légendaire dans son pays, est issu d’une tradition de chanteur Dengbêj mi-barde mi-berger qui sillonnent le Kurdistan pour faire vivre la tradition orale et la mémoire d’un peuple qui depuis un siècle est coupé en trois. Par son jeu original et surtout sa manière passionnée de défendre sa culture et sa musique, Şivan Perwer est devenue une icône de la résistance kurde. Pendant des années, interdit en Turquie et en Iran, la seule possession de ses disques était punie par des peines de prison et même de mort dans l’Irak de Saddam.
Cette ferveur lui a valu l’exile. Depuis 1976, ce symbole d’un peuple opprimé vit loin de ses montagnes qu’il a tant défendues. Aujourd’hui certaines de ces chansons sont permises au Kurdistan mais d’autres, moins innocentes, restent encore censurées.
Entre tradition et actualité
Par son engagement, et sa manière si particulière de mettre en scène sa musique et sa personne, Şivan Perwer montre à quel point la musique dite du monde, est bel et bien contemporaine. Loin des préoccupations formelles de l’occident, cette musique est ancrée dans le présent par sa conscience politique et le cri identitaire qu’elle incarne. Contrairement à une grande partie de notre musique populaire, c’est son sens qui la date.